indépendantistes en Bretagne

Les indépendantistes en Bretagne sont-ils si minoritaires que cela ?

de Erwann PEÑSEC

Où sont les indépendantistes en Bretagne ?

L’on entend souvent que les partisans de l’indépendance bretonne seraient trop peu nombreux pour que ce mouvement puisse aboutir.
Mais qu’en est-il réellement ?
Tout d’abord, combien d’indépendantistes la Bretagne compte-t-elle ?
Bien entendu, il est difficile d’estimer leur nombre, les études à ce sujet étant rares, pour ne pas dire quasi inexistantes. Néanmoins, début 2013, paraissait un fascinant numéro du magazine Bretons, qui révélait les résultats d’un vaste sondage du très sérieux IFOP portant sur diverses thématiques, allant de la réunification à la langue bretonne, en passant par… l’indépendance.
Ce numéro sera ensuite retiré des ventes et republié sous une forme censurée à la demande de Ouest-France, actionnaire de la revue, ces informations « chocs » risquant, peut-être, d’attirer les foudres de l’État français, qui abreuve abondamment la presse de subventions.

Mais que contenait donc ce rapport ?

Il faisait état du fait que 18% des Bretons soutenaient l’idée de l’indépendance.
Si cela peut sembler peu, il faut noter que, chez les jeunes (18-24 ans), ce taux s’élevait à 33%, contre 7% seulement chez les séniors (65 ans et plus). Ce qui laissait entendre un glissement vers l’indépendantisme avec l’essor de la jeunesse et la disparition des anciennes générations, élevées dans une société où il était honteux d’être Breton et où la France se portait bien mieux et suscitait donc bien plus l’adhésion.

Ces indicateurs sont loin d’être anodins, un tel pourcentage d’avis favorables à l’indépendance consistant un violent camouflet à la France et à sa tentative pluriséculaire d’assimiler le peuple breton.
Cette évolution est reflétée dans des sondages plus récents, notamment deux études réalisées par TMO en 2019, démontrant que 87% des habitants de la Bretagne administrative se considéraient Bretons, contre 77% dix ans plus tôt. Un sentiment en hausse même en Loire-Atlantique (de 55% à 59%). Plus intéressant encore, il y était dévoilé que 38% des habitants de la région administrative se disaient plus Bretons que Français (34% s’identifiaient avant tout comme Français, 5% avant tout comme Européens, et 20% ne hiérarchisaient pas ces notions). Ce taux était de 24% en 2008, soit une progression considérable, prouvant l’existence et le développement d’un terreau non négligeable.

Toutefois, beaucoup penseront alors : « Oui, mais avec 18% d’indépendantistes, ou même 33%, vous êtes tout de même minoritaires et n’irez pas bien loin ». Et c’est compréhensible.
Néanmoins, émettre un tel jugement, c’est oublier un élément crucial : ce sont les minorités actives qui font l’histoire. Et dire cela n’est aucunement une provocation, mais un constat empirique.
« Ce sont les minorités qui gouvernent le monde, et c’est pour cela que le monde a une Histoire; si la vraie majorité gouvernait, il ne se passerait jamais rien », résumait l’écrivain Victor Cherbuliez, et il ne pouvait avoir plus raison.

Prenons par exemple la révolution bolchévique, ayant provoqué la chute de l’Empire russe en 1917.
Dans un pays de près de 180 millions d’habitants, le Parti Bolchévique comptait, au début de cette année-là, seulement 5 000 membres environ, soit 0,0028% de la population. Bien sûr, leurs idées étaient partagées par une part plus importante des Russes, mais leur mouvement apparaissait initialement bien minoritaire. Pourtant, en quelques années, ils parviendront à renverser le cours de l’histoire, abolissant l’Empire et établissant le régime soviétique, entrainant derrière eux des masses populaires.

Le même processus est observé pour l’ensemble des grands bouleversements sociétaux : les minorités actives construisent l’Histoire, tandis que la majorité de la population, passive, se laisse porter par le courant, se contentant de suivre les leaders les plus convaincants. Ces minorités actives jouent ainsi le rôle d’étincelle entraînant un embrasement plus vaste du mouvement.

Il convient toutefois de noter que pour qu’un mouvement minoritaire puisse aboutir, il est important que la conjoncture globale le permette. Un mécontentement massif de la population facilite par exemple grandement la promotion de projets alternatifs.
Or, la France se trouve actuellement plongée dans une profonde et durable crise sociale, économique et sociétale; situation qui pourrait parfaitement bénéficier aux idées d’émancipation bretonne.


Néanmoins, si les partis et mouvements indépendantistes (et autonomistes) bretons peinent encore à susciter l’adhésion électorale et militante de la population, il ne s’agit, comme nous l’avons démontré, pas d’une question de nombre, mais de crédibilité.
Au-delà de l’absence flagrante de figures charismatiques aptes à séduire les foules (le Lénine breton n’est, semble-t-il, pas encore né), les partis bretons souffrent terriblement de leur manque d’argumentaire concret et chiffré permettant de convaincre de l’intérêt de l’émancipation. Après des décennies d’existence, il est incompréhensible que le mouvement breton n’ait pas encore réalisé d’étude socio-économique précise quant à l’impact d’une autonomie ou d’une indépendance de la Bretagne.

Tant que les discours se borneront à déclarer le besoin d’émancipation pour des raisons abstraites, subjectives et floues (identité, culture, histoire, langue, … mais aussi avantages socio-économiques non prouvés), plutôt que de s’appuyer avant tout sur un argumentaire concret, touchant au quotidien de la majorité des Bretons (logement, pouvoir d’achat, fiscalité, démocratie, …), le mouvement sera condamné à demeurer marginal.
Heureusement, ces sujets commencent à être abordés par les indépendantistes/autonomistes, mais cela s’accompagne trop peu d’analyses et projections chiffrées.

Yes Breizh
Yes Scotland

À titre d’exemple, les Écossais ont notamment fourni des études prévoyant l’impact potentiel de leur indépendance sur les revenus des ménages.

Par conséquent, il est primordial que ceux souhaitant porter le projet de l’émancipation bretonne, qu’il s’agisse de partis politiques ou non, produisent un argumentaire apte à convaincre la population sur des thématiques socio-économiques, mais aussi à le diffuser efficacement afin de toucher les masses les plus larges.

Or, en la matière, les partis bretons affichent également des lacunes, la majorité d’entre eux n’ayant pas encore effectué leur transition vers une communication moderne. Ils se cantonnent en effet à émettre des publications sur leur site propre, mésestimant la puissance des réseaux sociaux. À titre d’exemple, sur Instagram, les deux principaux partis bretons, le Parti Breton / Strollad Breizh et l’UDB Union Démocratique Bretonne, sont tout simplement inactifs; une stratégie absolument inconcevable à notre époque.

En réponse à l’interrogation initiale, nous pouvons donc conclure que le nombre de partisans de l’indépendance bretonne n’est non seulement pas aussi faible qu’il pourrait y paraître, mais qu’il pourrait être appelé à croître fortement, grâce à un terreau identitaire particulièrement fertile.
Cependant, cela ne pourra se faire qu’en cas d’efforts majeurs des acteurs du mouvement en vue de crédibiliser et diffuser leur parole.

Pour poursuivre la réflexion sur les indépendantistes en Bretagne

Titre et illustrations de NHU Bretagne

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1 commentaire

Colette TRUBLET 23 janvier 2024 - 9h45

Pourquoi toujours brandir la naissance d’un sauveur charismatique ? Notre intelligence collective prépare un changement de manière furtive à l’abri des pouvoirs et des médias. Les peuples, le peuple breton y compris est prêt à saisir les opportunités pour changer la vie en faisant basculer les sociétés et la politique hors d’atteinte des prédateurs et des marchands qui ont pris le pouvoir en se croyant les plus forts. Ils disposent de revenus insensés et appauvrissent les peuples devenus des populations indistinctes, de clients et de consommateurs. Mais il faut réfléchir avant d’agir. Il va falloir mettre au travail notre intelligence collective, dans des conventions citoyennes tirées au sort qui devront être informées par des spécialistes, y compris la mémoire artificielle composite (Je ne veux pas la nommer intelligence, seule l’humanité est intelligente, les machines les robots font ce que nous programmons) Et ces conventions édicteront des lois qui pourront être soumises à référendum après expérimentation. L’utilisation du référendum, en connaissance de cause suffit à la démocratie : les électeurs sont capables de vérifier les effets des lois sur leur vie quotidienne et n’ont pas forcément l’envie de faire les lois. L’administration en place existe et peut soutenir un ordre nouveau en attendant qu’une nouvelle constitution prenne le relai des pouvoirs en place. Un seul homme au sommet des états ou du monde est un cache sexe qui leurre des électeurs réduits à élire des bourreaux, des dictateurs, des prédateurs, qui empêchent les élus sincères et honnêtes de faire du bon travail. Ceux-là sont réduits à essayer de mettre des pansements sur des jambes de bois et à entretenir un système à bout de souffle. Il est désormais évident qu’il faut basculer vers une autre manière de s’y prendre pour faire les lois. Le tout est de savoir s’y prendre en renonçant a chercher un sauveur et en s’instruisant de ce qu’il est possible de faire. Beaucoup d’infos sont disponibles, même sur le site du gouvernement concernant les conventions citoyennes. De plus les révolutionnaires de 1789 avaient de bonnes solutions, avant de tuer le roi la reine et les nobles et de faire régner la Terreur, durant laquelle ils se sont entretués. Les leçons de l’histoire peuvent guider nos choix. Commençons par mettre en place des conventions citoyennes pour écrire une nouvelle constitution qui mettra l’économie à l’abri des marchands d’armes, de pétrole, d’énergie, de médicaments et vaccins, de gadgets inutiles et polluants. Si nous savons ce que nous voulons nous pouvons faire confiance à notre intelligence collective.

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