baragouiner et parler petit nègre

Baragouiner et parler petit nègre ?

de NHU Bretagne

Quand les mots trahissent notre passé : l’histoire cachée de « baragouiner » et « parler petit nègre »

Les expressions que nous utilisons dans notre quotidien sont souvent le reflet de l’histoire et d’une culture qui les ont façonnées. Certaines, bien que courantes par le passé, ont aujourd’hui un goût amer en raison de leur origine discriminatoire et humiliante. Dans cet article, nous plongeons dans les histoires de deux expressions françaises qui, à première vue, paraissent anodines mais qui cachent une charge raciste et ethnique : baragouiner et parler petit nègre.

Baragouiner : une discrimination brittophobe ?

Signification et usage moderne du mot baragouiner

Le verbe baragouiner est utilisé dans le langage courant pour désigner une personne qui parle de manière incompréhensible ou qui s’exprime maladroitement dans une langue qu’elle ne maîtrise pas. On l’entend souvent dans des contextes de communication laborieuse : « Il baragouine un peu d’anglais » ou « Je ne comprends rien à ce qu’il baragouine ».
Mais derrière cette utilisation anodine se cache une origine ethnique bien particulière.

Origine étymologique : baragouin

Le mot baragouiner tire son origine du breton, la langue originelle celtique de la Bretagne occidentale. Plus précisément, il provient des mots bretons bara (qui signifie « pain » en langue française) et gwin (qui signifie « vin« ).
Les Bretons qui migraient ou voyageaient vers la France, notamment vers Paris, étaient souvent moqués pour leur manière de s’exprimer en français, une langue étrangère qu’ils ne maîtrisaient pas.
D’autres sources affirment que ce mot baragouiner serait né dans le funeste Camp de Conlie (près du Mans, France) où l’état central de l’époque (on est en 1870) avait littéralement parqué près de 25000 jeunes Bretons, soldats sans nourriture et vivant dans d’effroyables conditions. C’est là que ces milliers de Bretons ne parlant que leur langue réclamaient à manger et à boire pour ne pas mourir de faim. Leurs supérieurs, le plus souvent Français, n’y comprenaient rien.

Incapables de bien formuler leurs phrases dans cette langue étrangère, et pour cause, ils demandaient souvent du bara et du gwin lorsqu’ils entraient dans une auberge pour se rassasier. Il leur était inutile de parler breton à des Français qui ne comprenaient pas leur langue celtique. Alors, ils se limitaient à n’user que de quelques mots pour expliquer ce qu’ils souhaitaient : un peu de pain et de vin, pour se nourrir et se désaltérer à moindre coût.
Cette expression fut alors transformée et francisée en verbe « baragouiner », désignant de manière péjorative ceux qui ne parlaient pas correctement la suprémaciste langue française.

Discrimination ethnique et culturelle

L’usage du terme baragouiner illustre la manière dont certaines populations étaient (et sont encore) marginalisées en raison de leur langue et de leur culture. Les Bretons, en raison de leur langue et de leur accent distincts, étaient perçus comme des étrangers par les Français, ce qui fondamentalement n’est pas si faux que cela. Cela jusque dans leur propre pays, en Bretagne. Cette marginalisation linguistique est un exemple classique d’ethnocentrisme, où la langue dominante (ici la langue française) est érigée et imposée, par la violence si nécessaire, en norme et les autres langues reléguées au rang de sous-langues, incompréhensibles et barbares.

Au fil du temps, l’usage du mot s’est généralisé, et bien que peu de personnes connaissent encore ses origines ethniques, son sous-texte discriminatoire demeure. Aujourd’hui, utiliser « baragouiner » dans un contexte anodin peut sembler inoffensif, mais il est important de se rappeler que ce mot est né dans un climat de rejet et de mépris envers une minorité linguistique et culturelle.
C’est typiquement une forme caractérisée de brittophobie.

Parler petit nègre : une expression raciste héritée du colonialisme

Signification et usage de l’expression « parler petit nègre »

L’expression parler petit nègre a longtemps été utilisée pour désigner une manière simplifiée et incorrecte de parler le français. En général, elle servait à décrire la façon dont les Africains s’exprimaient en français à l’époque coloniale. On disait alors qu’ils parlaient un « français de cuisine », rudimentaire et approximatif. Cette expression est cependant profondément offensante et ancrée dans l’histoire coloniale française.

Origine historique et coloniale

L’expression parler petit nègre remonte à l’époque où la France possédait de vastes colonies extérieures en Afrique et en Asie. Les colons français, confrontés à des populations parlant des langues locales, ne faisaient guère d’effort pour enseigner correctement le français. Au contraire, ils développaient une version simplifiée et appauvrie de la langue, réduite à des mots essentiels et à une grammaire déformée, qu’ils imposaient aux indigènes. Les Africains, contraints d’apprendre ce « français mutilé », ne pouvaient que mal le maîtriser, ce qui donna naissance à l’idée qu’ils étaient incapables de bien parler la langue du colon.

L’expression même de petit nègre révèle une condescendance raciale.
Le mot nègre, utilisé de manière désobligeante pour désigner les Noirs, associé à petit, suggère une infantilisation de la population africaine, perçue comme inférieure tant sur le plan intellectuel que linguistique. Exactement la même façon de traiter le peuple breton. Ce terme a été renforcé par la littérature coloniale et populaire du début du XXe siècle, où des personnages africains étaient souvent représentés avec une syntaxe simplifiée et erronée, dans un stéréotype d’ »incompétence » langagière.

La charge raciste et les conséquences

Le petit nègre est donc bien plus qu’une simple manière de parler. C’est une expression qui véhicule des siècles d’oppression et de préjugés raciaux. Elle sous-entend que les Africains étaient, et sont encore, incapables d’acquérir une maîtrise complète du français, renforçant l’idée de leur infériorité culturelle. Ce type de langue créée pour maintenir une barrière entre les colons et les colonisés était une forme d’asservissement mental, renforçant l’idée de domination européenne sur l’Afrique.

Aujourd’hui, cette expression est heureusement tombée en désuétude, mais son souvenir reste un témoignage des pratiques linguistiques coloniales qui ont façonné les relations entre la France et ses colonies extéreiures.

Baragouiner et parler petit nègre, deux expressions méprisantes d’un colonialisme toujours vivant.

Que ce soit baragouiner ou parler petit nègre, ces expressions révèlent à quel point le langage peut être porteur de discrimination, parfois inconsciente. Les mots que nous utilisons sont des marqueurs de pouvoir et de domination, qu’il est essentiel de déconstruire pour mieux comprendre les inégalités qui subsistent dans nos sociétés actuelles. Apprendre l’histoire cachée de ces mots, c’est reconnaître la nécessité de choisir un langage plus respectueux et inclusif, à l’écoute de l’histoire et des souffrances qu’il peut évoquer.

Les Bretons baragouinent et les Africains parlent petit nègre.

Dans ces mots choisis par le pouvoir central français, c’est toute la violence et le mépris d’un état colonial pour une colonie intérieure, la Bretagne, et des colonies extérieures, plusieurs peuples d’Afrique, jadis terrain de jeu de la République française. Celle-là même qui bourraient le crâne des enfants de ces nations différentes colonisées du « nos ancêtres les Gaulois« .
Fort heureusement, l’expression raciste parler petit nègre n’est pratiquement plus utilisée de nos jours.
Par contre, le mot, raciste lui aussi, de baragouiner est toujours bien utilisé. En 2021, l’ex Ministre français de la Justice, utilisait ce mot méprisant envers le peuple breton dans l’enceinte même de l’Assemblée à Paris, pour répondre à Marc Le Fur, un député breton.

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