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Imbolc et Bretagne, vers une nouvelle aube …

de Jean CARFANTAN
Publié le Dernière mise à jour le

Imbolc la fête celtique.

L’heure la plus sombre est juste avant l’aube
Thomas Fuller

[…]Brigitte a mis son doigt dans la rivière
Le jour de la fête de Brigitte
Et la mère du froid est partie,
Et elle a baigné ses paumes dans la rivière
Le jour de la fête de Patrick
Et s’en alla la mère conceptrice du froid, […]
Carmina Gadelica, Alexander Carmichael

Imbolc annonce le printemps.

Ce jour est consacré à Brigitte/Saint Brigitte, qui est une des saintes patronnes de la Bretagne. Puisque notre pays tire son nom de Pritanī, l’ancien nom de la Grande Bretagne, qui doit son nom à Brigitte. La reine Boudicca, le matin de la bataille où elle vainquit les Romains relâcha un lièvre, un animal symbole de Brigitte. Un animal qui fait le pont avec l’autre monde comme le lapin blanc dans Alice au Pays des merveilles.

Pour les Celtes de l’Atlantique comme pour beaucoup d’anciens, chaque jour commençait la veille au soir. Ainsi l’année commençait à Samhain [ˈsaʊ.wɪn] au début des mois les plus sombres de l’année, en novembre. Avant de naître à la lumière, l’enfant doit grandir dans la nuit de l’utérus. Imbolc [ˈɪmbɒlk] signifie en irlandais dans le ventre. Cette fête, traditionnellement fixée à la veille du 1er février, annonce le printemps. Bien que dans l’Antiquité elle était sans doute choisie en fonction de la lune et du soleil comme le montre le calendrier de Coligny. Brigitte vient de Brig l’Exaltée.
La légende la plus courante concernant Brigid est celle de son manteau.

Le manteau de Brigitte.

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Imbolc – Tableau Brigid’s Cloak de Barrie Maguire avec sa permission. Tous droits réservés.

Brigitte demande de la terre au Roi de Leinster, une des quatre provinces de l’île groupées autour de celle du centre, Tara. Alors, elle dit au Roi que l’endroit où elle se trouvait était le lieu parfait pour un couvent. C’était près d’une forêt où les membres pourraient ramasser du bois pour le feu et cueillir des baies. Un lac proche pourrait fournir de l’eau et la terre était fertile. Le roi se moqua d’elle et refusa de lui accorder aucune terre. Alors Brigitte pria et demanda à Dieu d’attendrir le cœur du roi.

Puis elle sourit au roi et dit, « Me donnerez-vous autant de terre que mon manteau couvrira ?« . Le roi pensa qu’elle plaisantait et lui donna son accord. Elle demanda alors à quatre de ses sœurs de prendre le manteau. Puis plutôt que de l’étendre à plat sur l’herbe, chacune se tourna vers un point cardinal différent et commença à courir très vite, le vêtement s’élargissant dans toutes les directions.

Bientôt le manteau couvrit de nombreux hectares de terre.

_ « Oh Brigitte« , s’écria le roi effrayé, « Qu’avez-vous l’intention de faire ? »
_ « Je suis, ou plutôt mon manteau est, sur le point de couvrir tout votre royaume pour vous punir de votre méchanceté envers les pauvres. »
_ « Rappelez vos jeunes filles. Je vous donnerai un morceau décent de terre. »

La sainte fut persuadée que si le roi gardait serrés les cordons de la bourse dans le futur, elle aurait juste à évoquer son manteau pour le ramener à la raison.

Leçons

Bien que la coloration de ce texte soit chrétienne, ne nous arrêtons pas à cela. Le texte a été mis à la couleur de la nouvelle idéologie pour passer la censure. En réalité, les moines copistes qui nous relatent cette anecdote nous disent beaucoup de choses sur la déesse Brigitte.

Son manteau couvre la terre, il est infini et si Brigitte n’avait pas commandé à ses compagnes de s’arrêter, il aurait pu envelopper la terre toute entière. C’est plus qu’un manteau, ce n’est pas un simple tissu. Plutôt une trame énergétique formée de fils qui se croisent et qui restaure le lien avec la terre. Cette trame relie tous les habitants du territoire, tous les êtres vivants. Chacun se sent part d’un tout, d’une communauté tissée de connivence, de reconnaissance, de modes de vie, de codes, de culture et de manières. Elle montre au roi que la terre n’est pas limitée, ni divisée mais tout cela n’est qu’une convention.

Le pouvoir de Brigitte …

Ici Brigitte, magnanime, montre son pouvoir puisqu’elle accepte sa proposition et soumet son propre pouvoir aux limites proposées par le roi pas pour se soumettre au roi mais pour équilibrer les forces. Elle ne se sert pas de son pouvoir pour abuser mais juste pour obtenir ce qui lui est dû. Son pouvoir lui sert à ramener le roi à la raison.

Cela nous donne une idée du pouvoir de ces êtres, ils attendent de nous que nous agissions, ils n’abusent pas notre libre-arbitre. Il est plus important que le roi modifie son point de vue plutôt que de le tromper puis de tout prendre. Les êtres qui agissent dans l’invisible nous invitent à des actions, nous montrent leur pouvoir mais n’interfèrent pas avec notre libre-arbitre.

Cela nous invite aussi à habiter notre pouvoir. L’Esprit est infini et il se glisse dans une forme comme dans un vêtement. Cette forme est un cadre mais pas une limite. Nous confondons souvent le cadre avec la limite. Brigitte nous invite à sortir du bocal de la pensée toute faite.

La nouvelle pensée régie par l’écriture

Livre ancien ouvert

Photo by Mark Rasmuson on Unsplash

Nous n’avons pas de représentations antiques de Brigitte. Les Celtes ne représentaient pas les dieux et déesses, à la mode des Grecs ou des Romains. Au cours de l’occupation romaine, les Gallo-romains édifièrent des statues, ce sont ces statues que nous découvrons avec l’archéologie.

Je formule l’hypothèse que Brigitte, de la même façon qu’elle a traversé des siècles de christianisme jusqu’à nous, a traversé les invasions celtiques depuis le Néolithique.

Les Celtes quand ils sont arrivés, ont intégré les religions néolithiques qui préexistaient à eux. En outre, ils ont utilisé les alignements, cairns, cercles, menhirs, dolmens et autres pierres dressées,. Également ils ont utilisé les œuvres cultuelles représentant la Terre-mère et autres pour leurs cultes.

De la même façon, les Celtes n’utilisaient pas d’alphabet. Même s’ils ont utilisé succinctement l’alphabet grec puis romain pour des raisons de commerce et d’échange. Et même s’ils ont utilisé les oghams, comme aide-mémoire ou comme support de divination.

L’alphabet.

L’utilisation de l’alphabet a constitué un basculement dans une civilisation coupée de la Nature. L’alphabet est une convention abstraite pour représenter le monde avec un nombre restreint de signes, de caractères, qui sont combinés et recombinés pour représenter des mots. Jusqu’à présent, le langage était uniquement oral, constitué de sons qui avaient un pouvoir d’évocation puissant, en particulier dans les rites. Le son avait un pouvoir sur le monde. Puis avec l’écriture et le Christianisme, nous sommes passés d’un univers de sensations et de pensée symbolique à un univers d’intellect et d’idées abstraites. Par ailleurs inspiré des Grecs et des Romains qui auparavant avaient été inspirés des Peuples du Proche et du Moyen-Orient.

L’univers oral est pétri de contradictions, de sons et de mots chargés d’intensité.

C’est un univers concret et coloré où l’humain fait corps avec son expression, son émotion, son imagination. Pourquoi les Druides refusaient l’écriture, alors que les Celtes utilisaient parfois le grec pour commercer ou discuter philosophie avec des étrangers ? Il me semble qu’ils savaient que ces deux visions du monde étaient antithétiques. L’alphabet nous a imposé une vision désincarnée et coupée du vivant et du proche. Nous avons perdu le contact intime avec la perception directe pour endosser la cuirasse des idées et du prêt à penser. Le système impérial romain s’est perpétué et s’est étendu qui nous a tenu loin des nécessités matérielles dans un confort illusoire reposant sur l’exploitation des peuples lointains et de leurs ressources.

Druidisme et Christianisme.

La victoire militaire n’a pas suffi aux Romains qui ont voulu détruire la moindre conscience collective ou vision du monde des vaincus en massacrant les officiants de cette religion.

Le Druidisme s’est alors transmis dans les campagnes avec des résurgences parfois dans le Christianisme à travers certains rites comme la confession, le système monastique, mais aussi dans les contes, les histoires hagiographiques de saintes et de saints pour traverser le filtre des autorités…

Les dieux et les déesses sont devenus des saints et ont continué à être priés et honorés sous d’autres habits. Ainsi la Déesse Brigitte en particulier est devenue Sainte Brigitte et est honorée partout où les Celtes sont allés par la suite. Il est vraisemblable que celle qu’on honore maintenant comme Sainte Brigitte de Kildare (Cill Dara : Église des Chênes) était la grande prêtresse de la Déesse et qu’on honore la déesse de l’ancienne religion à travers elle.

Son nom vient de Brig qui signifie l’Exaltée ou la Grande Dame.

Le territoire.

Île-Grande, Pleumeur-Bodou, France

Photo by tangi bertin on Unsplash

Les humains (mot qui vient du mot humus) quand ils s’établissent, explorent le peu de territoire qu’ils occupent. Donc le peu de terre quadrillée par rapport à l’immensité des continents qu’ils parcouraient jusqu’alors. Ils vivent en intelligence avec les animaux qui le peuplent, chassant toujours plus loin les prédateurs.

Car le territoire pour ces gens était tissé de repères. Également chargés d’histoires répétées au cours de veillées, enrichis de noms évocateurs de faits passés. Chacun était dépositaire d’une carte mentale tissée de sensations et d’histoires. Ainsi que de souvenirs, transmis de génération en génération, embellis et en résonance avec les hauts faits, les mythes et les légendes. Puis les petites histoires se mêlaient avec la grande histoire. Celle des dieux, le proche se mêlant à l’ailleurs mystérieux.

Des batailles sont revécues, remembrances des mythes anciens mêlant les dieux et les déesses ainsi que les super héros. Brigitte tisse ce manteau énergétique qui recouvre le territoire. Ainsi elle relie les êtres vivants du territoire, les rochers et les humains. Sur cette carte le moindre champ a un nom. Ces lieux côtoyés au quotidien ravivent par leur nom les mythes et les faits, les malaxant pour en faire une matière d’histoires vivantes. Le quotidien est peuplé d’imaginaire et de culturel, cette matière qui crée le lien et qui maintient tout ce monde d’un seul tenant malgré sa diversité.

Toponymie bretonne.

André Cornec a écrit une thèse Microtoponymie du canton de Briec où il répertorie vingt mille noms de champs.

Voyez une carte de l’île de Bréhat que je connais, le moindre rocher même recouvert à marée haute a un nom ou encore l’Île Grande. Car le nom crée le lien entre l’humain et son territoire. En fait ce microcosme qu’est le territoire local est un reflet du monde. Par exemple, les récits de navigation comme la navigation de Bran comme celle d’Ulysse pour les Grecs sont des précis de navigation. Ces histoire véhiculent les mythes et en même temps remplacent les cartes. Ces mythes en retour s’incarnent en local. Par exemple, un îlot deviendra une île et les oiseaux, des fées. Le territoire est un support pour l’imagination et le moindre détail est encodé de mythes.

Et remembrement …

Le remembrement a participé de tuer la langue bretonne et le gallo, effaçant comme sur une ardoise les noms de chaque lieu, chaque champ.

Le manteau de Brigitte est cette trame de l’esprit, de lumière qui relie la Communauté dont font partie les rochers, la terre, les végétaux et la faune sans compter les ancêtres, les esprits, les dieux et déesses.

Je regarde vers cette nouvelle aube où les humains retisseront le lien avec les animaux, les arbres, les reliefs du terrain, les monolithes et reformeront une communauté avec le paysage.

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