Bretagne calomniée

La Bretagne calomniée, une tradition française

de Alan LE CLOAREC
Publié le Dernière mise à jour le

La Bretagne calomniée, une tradition française., par Kentin Daniel aux Éditions Yoran embanner, 2023.

Nous publions ici la préface de Alan Le Cloarec

Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.

Il est toujours dans l’histoire, des livres qui marquent les mémoires. La Bretagne calomniée de Kentin Daniel, à n’en pas douter, en sera un et à plus d’un titre.

Tout d’abord parce qu’il nous rappelle une évidence historique, ici observable sur le temps long.
Une règle générale selon laquelle à toute insurrection répond la contre-insurrection. Certes, l’ouvrage n’est pas un catalogue de faits bien réels d’une répression de la France sur la Bretagne. Il explique tout cela sans même avoir à l’exposer. En effet, il n’est pas de politique répressive, ni ici ni ailleurs, qui ne se construise sans un discours pour l’accompagner, la justifier, l’exacerber. Là où le sang qui coule est la partie visible du phénomène, le discours qui a légitimé cette violence en est toujours la racine profonde, sans laquelle aucun débordement de violence, ici impérialiste et colonial, ne pourrait affirmer sa raison d’être.

La Bretagne calomniée, une tradition française

Par ce travail profond et détaillé de la construction d’une vision du peuple breton par les élites françaises, Kentin Daniel nous montre donc la face cachée de l’iceberg. Celle d’une origine sans laquelle nous ne pourrions pas comprendre les rapports de types coloniaux entretenus depuis des siècles par la France avec son dérangeant voisin breton. Aujourd’hui encore, d’aucuns s’évertuent à dire que tout cela n’a pas vraiment existé, qu’il n’y avait qu’un vague mépris des élites sur le petit peuple, ici comme ailleurs, sans aucune conséquence à en tirer sur la nature des relations entre deux pays antagonistes au long des siècles. Les mêmes qui parlent, bavent et bavardent ainsi sur la Bretagne pour dire qu’elle n’est pas un pays, qu’elle ne l’a jamais vraiment été, et donc qu’elle n’a jamais vraiment été ni combattue, ni humiliée, ni déshumanisée, ni, cela va sans dire, colonisée.

Qu’importe l’expression millénaire française d’une infériorité par nature du peuple breton face à sa propre prétendue supériorité.
Qu’importe la comparaison permanente à d’autres peuples autochtones en Europe, en Amérique, en Afrique ou en Asie. Qu’importe la comparaison plus que récurrente de nos ancêtres à des animaux.
Qu’importe l’assimilation systématique des Bretonnes et des Bretons à des sauvages, bons ou mauvais.
Qu’importe la réalité, qu’importent les faits, l’important est l’oubli.

C’est là le second aspect de la violence coloniale pratiquée par l’idéologie que ce livre met parfaitement en évidence.

S’il faut toujours un discours pour légitimer la conquête et la violence de la répression, il en faut aussi un autre pour convaincre que cette violence n’a jamais existé. Un second discours pour l’oubli vient donc toujours terminer le travail de la violence, qui avait été lui-même engendré par le premier discours sur l’infériorité du peuple à soumettre. Ainsi la boucle est bouclée, la colonisation achevée, le peuple rebelle est dominé, puis supprimé et oublié.

Sauf que, dans cette mécanique bien huilée de la destruction des peuples, cette mécanique dont la France s’est faite, avec d’autres, une championne mondiale et historique incontestée, il existe des grains de sable qui enrayent la machine.

Bretagne calomniée

« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux » – Étienne de la Boëtie, Discours de la servitude

Ce livre en est un.

Il fait en cela bien plus qu’œuvre de mémoire et d’histoire, il est un acte politique, de ceux qui ont pour but de transformer le réel par le changement de vison du monde qui nous entoure, lui-même constitué par notre passé. Après cette lecture, comment pourrait-on encore se bercer dans l’illusion d’une France qui ne nous a jamais voulu aucun mal, qui n’a agi que par hasard, voire pour notre bien, qui n’a jamais eu aucune volonté de destruction de la Bretagne comme aiment à le répéter tellement d’historiens à la solde du régime ?

Face à eux, on pourrait dire encore aujourd’hui, comme le disait déjà en 1845 Vincent Audren de Kerdrel, cité dans le livre : « J’avais affaire à des Parisiens bien plus qu’à des savants ».

Ici l’auteur expose les faits sans aucune pudeur, comme l’exige toute démarche scientifique.

Ils sont froids, leur lecture peut être brutale pour les lecteurs ou lectrices encore bercés d’illusions. C’est un juste retour de bâton nécessaire face à la violence subie par nos ancêtres, celle-là même qui nous a constitués, que nous continuons de subir, qui nous a plongés dans l’extrême violence du déracinement, de l’autodestruction, de la négation même de notre existence, de notre droit à l’humanité.

Jamais encore dans l’histoire de notre peuple, un de nos compatriotes n’avait amené dans le débat public un livre si criant d’évidence sur la profonde idéologie anti-bretonne dans l’espace français. Maintenant nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas. De la fondation de la Bretagne que nous connaissons à la fin de l’Antiquité jusqu’à nos jours, les mêmes qualificatifs péjoratifs reviennent toujours sous les plumes et dans les bouches franques, puis françaises. Selon eux, nous étions et nous serons toujours : inférieurs, barbares, alcooliques, idiots, rustres, superstitieux, sales, plus proches des animaux que des êtres humains, et suprême défaut à leurs yeux : adeptes du patriotisme breton.

Ces mots ne sont pas choisis au hasard, vous verrez à la lecture du livre qu’ils sont d’une surprenante régularité dans l’Histoire.

Tout un discours s’est construit et transmis de génération en génération, selon lequel nous étions d’une immoralité et d’une animalité issue d’un héritage autochtone, celtique, supposé pré-civilisationnel, qui ne nous mettait pas au même niveau que les Français. Une évidence à leurs yeux qui leur conférait un droit naturel à nous posséder pour mieux nous soumettre et nous civiliser. Malgré tout, siècle après siècle, la légitime résistance bretonne n’a jamais cessé de se manifester, alors même qu’elle n’était pour nos voisins qu’une idiote volonté de s’accrocher à un passéisme hideux que le progrès devait balayer. En ce sens, la résistance bretonne était un crime contre l’esprit, car il était l’incarnation d’un archaïsme injustifié et injustifiable.

Ce crime d’un patriotisme breton illogique et insensé s’exposait déjà dans les livres français à l’époque de l’indépendance de la Bretagne. C’est le même discours que l’on retrouve ensuite tout au long de l’histoire, jusqu’à cette petite phrase d’un député communiste de 1947 selon lequel « L’autonomisme breton, ça commence à une terrasse de café et ça se termine devant le peloton d’exécution. ».

C’est aussi Françoise Morvan dans les années 2000 qui nous explique que tout nationalisme breton n’est et n’a toujours été qu’un pur fascisme.
C’est encore l’exposition « Celtique ? » du Musée de Bretagne selon laquelle, après avoir été soi-disant arriéré pour être des Celtes, nous sommes vus comme arriérés, car nous revendiquons une origine celtique qui serait soudainement devenue mythe et invention. Logique. Quand un opprimé fait de son stigmate une fierté, l’oppresseur veut refaire de sa fierté un stigmate.

La Bretagne calomniée

Le Musée dit de Bretagne serait-il un peu brittophobe ?

N’accordons aucun intérêt à ces discours, ils diront toujours tout et son contraire pour arriver à leurs fins.
Un jour vous êtes Celtes, un jour vous ne l’êtes plus. Vous êtes fiers d’être petits, on vous dira grands. Vous êtes fier d’être grands, on vous dira petits. L’important est que vous soyez à votre place d’inférieur, celle de celui qui subit et qui laisse sa destinée entre les mains du supérieur, le seul qui aurait le légitime pouvoir de nous définir grâce à sa soi-disant supériorité naturelle. Derrière cela, il n’y aucune autre logique que celle de la domination. Elle la conséquence de l’infériorisation permanente d’un peuple qui refuse toujours de disparaître malgré bientôt cinq cents ans de colonisation.

Une irrégularité subsiste tout de même dans le discours français anti-breton.

Siècle après siècle, nous sommes comparés à nos frères et sœurs d’infortunes à travers le monde. Ainsi quand la France colonise en Amérique, nous sommes comme les peuples indiens. Quand elle colonise en Afrique nous sommes comme les peuples noirs, les Égyptiens ou autres. Quand la France se prend de passion pour le lointain Orient du fond de la Sibérie ou pour les îles du Pacifique, nous sommes encore et toujours comme ces autres du bout du monde. Camarades d’infortune donc, où ici comme ailleurs, le bon sauvage devient l’indigène dégénéré bon à abattre dès qu’il résiste aux resplendissantes lumières de la civilisation française, car au nom de quoi si ce n’est du fanatisme ou de la barbarie, voudrait-on résister à l’incarnation même du progrès sur terre ?

Après avoir clamé haut et fort pendant des centaines d’années que nous autres de Bretagne étions l’équivalent européen de tous les colonisés de la terre, aujourd’hui les mêmes vous diront que jamais, oh grand jamais, il n’y a eu le moindre aspect colonial dans les relations entre la France et la Bretagne. Irrégularité donc, ou plutôt mise à jour du logiciel de domination, puisque la Bretagne n’a pas réussi à atteindre, comme tant d’autres nations du monde, son indépendance dans la grande phase de décolonisation du XXe siècle qui s’ouvre par la libération de l’Irlande, et ce malgré les efforts des Breiz Atao ou du FLB qui comptait bien prendre cette route.

Grands ou petits, Celtes ou pas Celtes, colonisés ou non, la France est toujours là, elle adapte donc son discours, elle décide toujours à notre place ce que nous sommes, pour qu’à jamais nous restions sienne.

Cette vision française anti-bretonne a donc encore du poids et elle se manifeste à nouveau dès que le besoin s’en fait sentir. On se souvient des Bonnets Rouges de 2013, où pour Mélenchon et toute la gauche française derrière lui, il n’y avait dans le soulèvement breton que des « esclaves [qui] défendent leurs maîtres ». Logique, pour un Français de la haute société, de gauche comme de droite, les arriérés Bretonnes et Bretons que nous sommes ne comprennent rien ni à l’écologie ni à la lutte des classes. Nous aimons vivre sous le pouvoir du patron comme hier nous aimions vivre sous celui du curé. Entourés de cochons et d’algues vertes, nous sommes trop benêts pour nous en sortir sans le génie français de tel homme politique ou de telle journaliste parisienne.

Les pompiers pyromanes viennent se construire une renommée sur les dégâts écologiques d’un modèle agro-industriel imposé par la France.
Malheureusement sur la route, il y a des autochtones qui n’accueillent pas avec joie les nouvelles lumières françaises colorées d’écologie, métropolitaine et bourgeoise, cela va sans dire.
Malheureusement pour les lumières, les autochtones savent toujours se révolter, manifester, s’organiser, brûler les portiques, revendiquer leur liberté. Une fois de plus, nous faisons tache dans le beau tableau français, mais que voulez-vous, c’est plus fort que nous, nous autres sauvages.

Alors, ce livre nous montre-t-il qu’il n’y a là qu’un éternel recommencent sans aucun espoir ?
Pour que la France change cette vision, en effet il n’y aucun espoir. Elle évolue sans disparaître, elle se fait mielleuse, elle folklorise, elle romantise la Bretagne, en la mettant toujours à une place d’inférieur.
C’est la vision d’une petite région chauvine, celle des pauvres Bretonnes et Bretons qui ne pourraient pas vivre sans l’argent des touristes et des résidents secondaires, celle des alcoolos sympathiques mais tout de même idiots.

A l’inverse, il y a une autre vision, un autre espoir, breton celui-là, qui tresse une leçon, valable hier, aujourd’hui et demain, comme une forme de conclusion.
Résister ou disparaître, il n’y pas d’alternative.

A commander en ligne directement chez Yoran Embanner, l’éditeur.

Kentin Daniel  – Éditions Yoran Embanner

Bretagne calomniée

La Bretagne calomniée de Kentin Daniel, Éditions Yoran Embanner

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